« Pendant que je m’occupais de Papa, mon frère construisait sa propre vie » : Maintenant, je vois que ça n’en valait pas la peine
En grandissant, mon frère Julien et moi avions une relation fraternelle typique, remplie à la fois d’amour et de rivalité. Cependant, au fil des années, la dynamique a changé de manière dramatique. Julien a quatre ans de moins que moi, et j’ai toujours eu l’impression que nos parents, surtout Papa, le favorisaient. Ce favoritisme est devenu plus apparent lorsque Papa est tombé malade.
Papa a été diagnostiqué avec une maladie chronique quand j’avais une vingtaine d’années. À cette époque, je venais de terminer mes études universitaires et j’avais hâte de commencer ma carrière. Mais la vie en a décidé autrement. Avec Maman travaillant de longues heures pour subvenir aux besoins de la famille, la responsabilité de prendre soin de Papa m’est tombée dessus. J’ai mis mes rêves en suspens et suis retournée vivre à la maison pour aider.
Julien, quant à lui, était encore à l’université. Il venait nous rendre visite de temps en temps mais ne restait jamais assez longtemps pour aider avec les tâches lourdes. Il était occupé avec ses études, ses amis et sa relation naissante avec Élodie, sa petite amie de l’université. Chaque fois qu’il rentrait à la maison, Papa s’illuminait, et j’avais l’impression que tous mes efforts étaient éclipsés par la simple présence de Julien.
À l’école, c’était différent. Je réussissais bien académiquement et j’avais un groupe d’amis proches qui m’appréciaient pour ce que j’étais. Mais à la maison, c’était une autre histoire. Les soins constants m’ont épuisée physiquement et émotionnellement. J’ai vu Julien obtenir son diplôme, trouver un emploi et finalement épouser Élodie. Ils ont acheté une maison et fondé une famille pendant que j’étais toujours coincée au même endroit, prenant soin de Papa.
J’ai essayé de parler à Maman de ce que je ressentais, mais elle balayait toujours mes préoccupations. « Julien a sa propre vie maintenant, » disait-elle. « Tu fais un travail formidable avec Papa; il a besoin de toi. » J’avais l’impression que mes sacrifices étaient invisibles pour tout le monde sauf pour moi.
Les années ont passé et l’état de Papa s’est aggravé. Ma vie sociale s’est réduite et mes perspectives de carrière ont disparu en arrière-plan. Pendant ce temps, la vie de Julien prospérait. Il obtenait des promotions au travail, voyageait autour du monde avec Élodie et avait même deux beaux enfants. Chaque fois qu’ils nous rendaient visite, c’était comme un défilé de succès et de bonheur que je ne pouvais qu’observer depuis les coulisses.
Un jour, après une autre journée épuisante de soins, j’ai craqué devant Maman. « Pourquoi Julien peut-il vivre sa vie pendant que je suis coincée ici ? » ai-je demandé en pleurant. Elle m’a regardée avec un mélange de pitié et de confusion. « Parce que tu es plus forte, » a-t-elle dit. « Tu peux le supporter. »
C’est à ce moment-là que j’ai réalisé que mes sacrifices ne seraient jamais reconnus ou récompensés. J’avais tant donné pour ma famille, mais à leurs yeux, c’était simplement ce qu’on attendait de moi.
Papa est décédé l’année dernière. Les funérailles ont été un flou de condoléances et de souvenirs. Julien a prononcé un éloge funèbre émouvant qui a fait pleurer tout le monde. Alors que je me tenais là, l’écoutant parler de la force et de l’amour de Papa, je ne pouvais m’empêcher de ressentir une pointe de ressentiment. Où était Julien quand Papa avait besoin d’aide pour se lever ? Où était-il pendant les innombrables visites à l’hôpital ?
Après les funérailles, la vie a continué pour tout le monde. Julien est retourné à sa vie parfaite avec Élodie et leurs enfants. Maman a emménagé chez eux pendant un certain temps pour aider avec les petits-enfants. Et moi ? J’étais laissée seule dans la maison qui était devenue une prison au fil des années.
J’ai essayé de reconstruire ma vie, mais ce n’était pas facile. Mes amis avaient tourné la page, ma carrière était inexistante et je me sentais comme une étrangère dans ma propre peau. Les années passées à prendre soin de Papa m’avaient changée d’une manière que je ne pouvais même pas commencer à comprendre.
Avec le recul, je vois que mes sacrifices n’en valaient pas la peine. J’ai perdu tellement de moi-même en prenant soin de Papa pendant que Julien construisait sa propre vie sans aucun des fardeaux que je portais. C’est une pilule amère à avaler, mais c’est ma réalité.